Atlas des cultures sismiques anciennes dans l’espace méditerranéen

Notre projet d’Atlas des cultures sismiques anciennes dans l’espace méditerranéen n’est pas récent. Nous l’avons esquissé dès la fin des années 1980, dans le cadre des programmes du Centre Universitaires Européen pour les Biens Culturels de Ravello (CUEBC), nous y sommes revenus à la fin des années 1990 en participant à la création du groupe Archéologie, Pathologies, Sismicité (Groupe APS). Nous n’avons pas cessé, depuis lors, de porter ce projet, de rechercher les documents destinés à en constituer la matière, de réfléchir à sa mise en forme. Cette recherche nous a conduits à accumuler observations et informations, et cependant nous avons conscience de n’avoir pas, loin de là, épuisé la matière. La diffusion de ces observations et interprétations vise donc à apporter un regard d’historien et d’architecte à tous ceux que ce bâti ancien intéresse, professionnels et amateurs. Le projet d’Atlas des cultures sismiques anciennes dans l’espace méditerranéen veut donc d’abord apprendre à voir, à aiguiser la perception des dommages causés par les tremblements de terre sur les bâtis anciens, à distinguer les simples réparations des réponses techniques plus élaborées que certaines communautés anciennes ont su développer dans les contextes environnementaux, économiques et historiques qui étaient les leurs.

Carte de localisation des sites d'observation constitutifs de l'Atlas des cultures sismiques anciennes dans l’espace méditerranéen

Carte de localisation des sites d'observation constitutifs de l'Atlas des cultures sismiques anciennes dans l’espace méditerranéen

Les hypothèses de départ et les objectifs ont été posés dans un article signé par l’un d’entre nous, dès 1990. Nous pouvons les reprendre ici, car la situation n’a pas changé, ni sur les principes, ni sur les méthodes, ni sur les instruments de la recherche. La question initiale a été formulée au début du programme d’étude engagé à Ravello : « La vulnérabilité est déjà en soi un sujet de recherche. Nous ne savons pas très bien ce qui dans les temps « anciens » a été pris comme règles de protection sismique. » Mais il est apparu très rapidement qu’il fallait s’accorder sur ce qu’était la vulnérabilité des bâtis anciens. Car la définition que les spécialistes des structures bâties donnent de la vulnérabilité est extrêmement simpliste lorsqu’il s’agit de l’appliquer aux bâtis anciens. Pour aborder ceux-ci, il fallait élargir la définition de ce terme non seulement aux réactions des constructions, mais aussi aux attitudes et aux comportements des communautés qui les ont édifiées, dans une réflexion plus étendue.
Cette réflexion sur la protection des bâtis anciens dans les zones à risque sismique doit nécessairement avoir pour point de départ la prise en compte de la communauté humaine face aux tremblements de terre. Il est établi en effet que dans les zones traditionnellement sismiques le tremblement de terre a toujours été considéré comme un événement inéluctable auquel on ne peut s’opposer, mais qu’il n’était pas nécessairement le risque le plus important, ni le plus fréquent, ni le plus redouté : l’incendie, les guerres, la perte de richesse et d’hommes ont été plus souvent cause des destructions et des abandons que les tremblements de terre. Face à ces derniers comme aux autres calamités, la communauté en cause n’avait qu’une solution : reconstruire, en fonction de ses moyens, ce qui avait été détruit. Les catastrophes récurrentes devenaient donc le seul test disponible de mise à l’épreuve des techniques de construction sismo-résistantes et constituaient dans le même temps une occasion ou une contrainte pour rénover et améliorer le bâti et l’habitat. Aujourd’hui, à l’inverse, on considère que, même si l’événement sismique ne peut être évité, on doit le prévenir et réduire au maximum les dommages. Mais cela n’est possible qu’à condition de pouvoir prévoir les effets du séisme. On cherche alors à anticiper les réponses des constructions à la sollicitation sismique.
Une telle différence dans l’approche de l’événement sismique entre les attitudes d’autrefois et celles d’aujourd’hui a conduit nécessairement à mettre désormais l’accent sur la prévention. Mais elle rend aussi, paradoxalement, la définition de techniques efficaces de protection plus difficile pour ce qui concerne le bâti ancien. Car la mise au point de ces techniques est étroitement liée à la connaissance du comportement des constructions durant le choc sismique, connaissance qui ne s’acquiert qu’à travers des simulations sur modèles. La possibilité d’utiliser à cette fin des procédures de simulation — aujourd’hui largement répandues — ne résout cependant qu’une partie de ces problèmes. En effet, il n’est pas toujours possible de construire un modèle pertinent de l’objet à renforcer. En particulier, il est apparu que la difficulté augmente au fur et à mesure que l’on passe d’un bâti archéologique simple à un monument isolé, puis à un ensemble monumental, et enfin au bâti des centres historiques où tous les immeubles sont liés voire imbriqués les uns dans les autres. Cela s’explique non seulement parce que la complexité structurelle augmente, mais aussi parce que, étant donné la difficulté de reconstruire l’origine et l’histoire des bâtis, il devient encore plus délicat d’en connaître les particularités structurelles et de les insérer dans le modèle. La difficulté d’utiliser les outils de connaissance modernes s’associe alors à la perte progressive du savoir empirique et favorise par conséquent des interventions moins appropriées que les interventions traditionnelles. Il a d’abord été reconnu qu’en dehors de la spécificité du système local (ressources disponibles, techniques utilisées, procédures adoptées) la meilleure protection du patrimoine culturel dans les zones à risque sismique est toujours liée à une action efficace d’entretien, c’est-à-dire aux interventions effectuées régulièrement, en respectant les caractéristiques du bâti. La vulnérabilité d’un bâti dépend donc non seulement de sa capacité de résistance mais aussi, ou surtout, du comportement de la communauté qui l’a utilisé avant, pendant et après le séisme.

Schéma d'analyse des anomalies constructives

Schéma d'analyse des anomalies constructives

La connaissance du bâti et l’analyse du comportement de la communauté sont donc devenus les deux pôles de la recherche entreprise par les experts en matière de protection du patrimoine culturel. Entre les historiens, les archéologues, les administrateurs et les architectes s’instaure un dialogue, visant à approfondir la connaissance du bâti ancien et à analyser en même temps le comportement de la communauté, dans le but d’en réduire la vulnérabilité, en particulier dans les zones à risque sismique. Un rapide tour d’horizon permet de constater que ce corpus de connaissances sur le comportement « global » du système est resté à l’état embryonnaire et empirique, même si de nombreuses initiatives pluridisciplinaires se sont manifestées dans cette direction de recherche.
À partir des expériences déjà conduites, il nous est apparu que l’on peut accroître considérablement l’efficacité des actions de protection du bâti ancien dans les zones à risque sismique au moyen de :
– une recherche à l’échelle régionale sur le bâti ancien toujours en usage ;
– une analyse multi-spatiale et multi-temporelle des différents types de bâti existant dans les zones à risque sismique ;
– une analyse des comportements des communautés qui ont construit, modifié et qui utilisent aujourd’hui le bâti ancien.

Alain Rideaud et Bruno Helly, fondateurs de archaeoseismicity.org.

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